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“LE FLAÇON”


Parfumerie Levant, Paris - Εικονα, Αρχικη Πηγη

Il est de forts parfums pour qui toute matière est poreuse.
On dirait qu' ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l' Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l' âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

Parfumerie du Levant
Parfumerie du Levant

Mille pensées qui dormaient, chrysalides funèbres,
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige
dans l'air troublé; les yeux se ferment; le Vertige
Saisit l'âme vaincue et la pousse a deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

Il la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,
Ou, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire
Quand on m'aura jeté, vieux flaçon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon coeur! 

“Spleen et Idéal” XLVIII
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© magikokouti 2018 | Ch. Baudelaire - Le flaçon | 18-Oct-2012 12:56 PM